Edmond E., gabonais vivant en France, est drépanocytaire. La drépanocytose est l’une des maladies génétiques les plus répandues avec environ 300 000 naissances par an dans le monde selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale en France. Mais c’est aussi l’une des maladies les plus invisibilisées.
Entre renoncement, espoir, résilience, témoignage d’un combattant contre la drépanocytose.
La drépanocytose qu’est-ce que c’est ?
La drépanocytose est une maladie génétique héréditaire affectant l’hémoglobine. Les globules rouges se retrouvent alors déformés et prennent une forme de faucille. Ils ont alors, des difficultés à circuler et peuvent occasionner des caillots dans les vaisseaux, à l’origine de nombreuses complications et douleurs.
Chaque personne hérite d’un gène de son père et un autre de sa mère. Le gène sain est nommé A, le gène de la drépanocytose est nommé S. Pour être malade, il faut que les deux parents aient transmis le gène S, le gène porteur. Dans le cas contraire, on est AS, « porteur sain ».
« Moi, j’ai eu une chance sur 6 du côté de ma mère, et 1 chance sur 20 du côté de mon géniteur. Est-ce que ça veut dire quelque chose, j’en sais rien. Ce que j’ai trouvé d’intéressant au travers cette expérience, c’est la perspective qu’elle m’a permis d’avoir sur la vie dans sa globalité. Oui je sais, je suis le cliché du gars malade qui a acquis un certain regard sur la vie. »
Ma mère était mon premier médecin…
Je suis né dans les années 80 et dans mon enfance, il y avait très peu d’informations pour comprendre ce qui m’arrivait et la prise en charge au Gabon était inexistante. La Drépanocytose était inconnue voire très peu connue au Gabon et il faut dire que dans nos régions africaines tout était le fait de la sorcellerie. Il fallait bien combler notre manque de connaissances par quelque chose, et c’est encore le cas aujourd’hui, dans une certaine mesure.
Ma mère est celle qui a toujours été en première ligne, à chercher la bonne information, rencontrer des médecins, à en apprendre le plus possible. Une partie des crises que je faisais étaient traitées à la maison. Maman étant devenue infirmière, elle avait acquis les compétences nécessaires pour m’apporter les premiers soins, tout en étant attentive à l’évolution au cas où il fallait se rendre à l’hôpital si complication il y avait. Et je ne compte plus le nombre de fois où il fallait emprunter le véhicule d’un voisin, ou lui demander de nous transporter à l’hôpital.
Quand on est encore en bas âge, on ne réalise pas toute l’amplitude que la maladie va avoir sur notre vie, nos proches, notre parcours…. « Pourquoi on a mal ? Pourquoi on doit fréquemment se trouver à l’hôpital, en consultation, en hospitalisation ? Ou encore dans des médecines alternatives, chez des prêtres ? »
À force d’accumuler tous ces éléments, on commence à se dire qu’il y a quelque chose qui cloche chez nous. L’entourage n’étant pas préparé ni armé à gérer, cela rend les choses plus compliquées. On se dit : « Les autres ne vont pas autant à l’hôpital. Ils peuvent jouer et pourquoi pas moi ? »
Ma scolarité aussi a été compliquée…
Sachant avec le temps, les périodes qui m’étaient les plus défavorables, je mettais en place des stratégies pour être efficace les 5 à 6 mois qui précédaient la rentrée des classes. Cela me garantissait une moyenne générale passable. Mais au fur et à mesure que les crises se multipliaient et devenaient plus lourdes, j’ai dû plaider auprès des parents pour avoir des cours à domicile car il était difficile pour eux d’envisager mon avenir scolaire et professionnel. Puis avec le temps, j’ai dû être autodidacte et apprendre seul.
On culpabilise d’être un problème…
La maladie que je porte à toujours été plus expressive que moi et le plus difficile, parmi d’autres choses, c’est de n’être jamais vraiment dissocier de la maladie, surtout si celle ci creuse encore un peu plus chaque jour des séquelles visibles. Ayant la forme la plus grave de la maladie, j’ai vécu beaucoup de moments avec moi-même sur un lit d’hôpital ou dans ma chambre, à m’interroger sur l’impact de cette maladie, sur moi, mes parents, mes sœurs et frères. Pour mes sœurs et frères, je me suis toujours dit que cela a contribué à leur bienveillance. Pour eux comme pour moi, la situation n’était pas évidente. La maladie prenait beaucoup de place et de moyens.
Je cristallisais toute l’attention et le coût financier que cela impliquait a été très souvent le sujet de dispute des parents. Pour eux, seule ma survie comptait, il était difficile, et de mon point de vue, impossible de voir au-delà du fait d’être un problème.
Une lutte constante contre soi.
En France, le suivi est assurément meilleur, la prise en charge médicamenteuse est garantie, en plus d’un suivi psychologique disponible si besoin. Et cet aspect psychologique m’a toujours paru essentiel. C’est un élément important à mettre en place, surtout chez nous en Afrique, pour aider à gérer la maladie.
En effet, en plus de ce que l’on vit dans sa chaire, il y a les angoisses et les questionnements : Qu’-est ce qui va arriver si j’ai des enfants ? Est-ce que j’ai envie d’être une charge pour une femme malgré son amour ? Est-ce que je réussirais à être autonome… Comme avec les phases du deuil, je suis passé par toutes les étapes pour gérer comme je pouvais avec cette maladie.
Au Gabon, tout est à faire…
Sans risque de me tromper, je pense que rien n’a changé au Gabon. Les familles doivent se débrouiller seules pour s’organiser et gérer la situation. À ma connaissance, il n’y a que deux médecins reconnus, ayant chacun une structure adaptée pour la prise en charge médicale de la drépanocytose : le PrONDO Alain, et le Dr Mbie ONDO. C’est en allant dans les cliniques privées qu’on peut espérer avoir une certaine attention, ce qui n’est pas forcément accessible à tout le monde. Je me rappelle encore une période où je devais me faire seul les injections d’anti-douleurs lorsque j’avais une crise douloureuse. Certain.e.s de mes ami.e.s par prévenance avaient appris à m’en faire lorsque mon état ne le permettait pas.
Pour finir, en plus de la prise en charge médicale que faut-il ?
Il faut à mon avis, mettre en place une éducation thérapeutique bienveillante initiée par les parents et/ou les institutions et associations. Lorsque l’on a un enfant drépanocytaire, ou ayant une maladie chronique incurable ou curable, il est important de lui fournir un maximum d’éléments de compréhension positive et scientifique. Lui rappeler qu’il n’a commis aucun crime, que ce qui lui arrive quoi qu’exceptionnel, est parfaitement naturel, normal. Le prémunir même si on est religieux, qu’il n’est redevable d’aucun pêché envers aucune divinités etqu’il n’a pas un mauvais karma.
Aujourd’hui je dirais que je gère, et c’est un ensemble d’éléments qui y concourent, le plus important étant l’environnement. Je me suis engagée à une meilleure acceptation dans ma cohabitation avec la Drépanocytose, aussi pesante soit-elle. Même si mon corps m’a toujours fait défaut, mon esprit lui est toujours resté affûté. Si on ne peut pas gagner avec son corps, on peut toujours vaincre avec son esprit.